• Montée du risque souverain en Europe
Alors que notre scénario 2010 prévoyait que les marchés subiraient des chocs conjoncturels liés aux stratégies de sortie de crise des politiques monétaires, ils encaissent actuellement un choc structurel lié au risque souverain des pays développés. Tandis que les pays émergents engrangent les recettes fiscales d'une croissance galopante, la trajectoire de la dette est incontrôlée, voire incontrôlable, dans les pays développés, qui supportent le lourd héritage de la crise économique et financière .
Il faut faire une distinction au sein des pays développés entre l'Europe et les Etats-Unis, où la croissance est beaucoup plus forte. Le déficit de l'Etat fédéral pourrait ainsi passer rapidement de 11% à 6% dans les prochains trimestres
La France est une bonne illustration de l'évolution des finances publiques en Europe. Les piliers sociaux du "consensus républicain" (éducation, sécu, retraite) ont été mis en place au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans un contexte de croissance démographique de 2% par an et de croissance annuelle réelle du PIB de 5%. Aujourd'hui, avec une hausse de la démographie de l'ordre de 0.8% par an et une croissance économique inférieure à 2% depuis quelques années, ces piliers sociaux sont structurellement déficitaires et rien n'a été fait pour corriger cette évolution.
Malheureusement, on ne peut pas compter aujourd'hui sur l'inflation pour réduire artificiellement le poids des dettes publiques. En Europe, si l'on ajoute la faiblesse de la croissance et la difficulté politique de mettre en oeuvre un programme de réduction de la dette, il ne reste que trois issues: : transférer la dette des pays en difficulté aux Etats "core", monétiser la dette ou faire défaut (et restructurer). Cette dernière solution est extrême et personne ne l'envisage sérieusement, du moins à court terme. Notre scénario est plutôt celui du transfert et d'une monétisation parallèle.
L'encours de la dette grecque est relativement faible, mais on dépasse les 1000 milliards d'euros si l'on ajoute les dettes portugaise, espagnole et irlandaise.
Par ailleurs, l'exposition des banques européennes aux dettes grecque, irlandaise, portugaise et espagnole représente plusieurs centaines de milliards d'euros, ce qui explique le stress récent du secteur bancaire.
Les chocs liés à la dette souveraine vont donc nous accompagner pendant de nombreux mois, avec des périodes de détente liées à la vigueur du cycle économique.
A l'inverse des Etats, les entreprises sont peu endettées. Le ratio dette sur fonds propres des entreprises du S&P 500 ou du Stoxx 600 est de 40 à 50%, contre plus de 100% à la fin des années 90.
• Bonnes surprises du cycle économique américain, destructions d'emplois en Europe et surchauffe en Chine.
Le cycle économique est bien orienté aux Etats-Unis. Au premier trimestre, la croissance de la consommation a été au rendez-vous plus tôt qu'attendu, avec une hausse de 3.6%. parallèlement, l'investissement redémarre, avec un rythme de croissance de 15% par an. Le cycle d'investissement étant sensible à l'évolution de la variation des taux d'utilisation des capacités, et celle-ci repassant en territoire positif, on peut espérer que les investissements vont poursuivre leur rebond, même si on n'est pas près de retrouver les niveaux d'investissement d'avant la crise.
Cela augure bien de la reprise de l'emploi aux Etats-Unis, qui pourrait connaître une accélération à plus de 200'000 créations mensuelles.
De même, la baisse récente du taux d'épargne des ménages témoigne de leur regain de confiance, alimenté notamment par la stabilisation des prix immobiliers.
Enfin, les derniers chiffres de crédit à la consommation indiquent clairement un redémarrage.
Ces bons indicateurs économiques ne s'accompagnent pas de pressions inflationnistes. La faiblesse de l'inflation core, au plus bas depuis les années 60 (0,7 % en 1961), soutient ainsi le pouvoir d'achat des ménages américains.
En Europe, le schéma est radicalement différent. On continue à détruire des emplois, et cela devrait durer. La croissance des salaires nominaux chute et la consommation des ménages est atone. Le seul rebond est celui de la production industrielle, coïncidant avec ce qu'on observe aux Etats-Unis, grâce au dynamisme des exportations. L'affaiblissement de l'euro ne peut que soutenir ce mouvement.
En Chine, le principal souci est d'éviter la surchauffe. Les autorités s'attèlent à ramener le taux de croissance de l'investissement en capital fixe sur des niveaux plus raisonnables, via la politique monétaire notamment. Pour le moment, on reste sur des niveaux de 30 à 35% de croissance de la masse monétaire, ce qui est un facteur d'inflation.
On pourrait ainsi atteindre un pic d'inflation de 5% dans les prochains mois, à cause de l'alimentation, mais aussi de l'immobilier, dont les prix sont à des niveaux record.
La politique monétaire chinoise met le marché actions sous pression, l'immobilier pesant environ un tiers de l'indice.
Le cycle économique est clairement désynchronisé, avec une reprise engagée depuis 18 mois dans les pays émergents, qui se confirme aux Etats-Unis et qui reste médiocre en Europe.
• La prime de risque souverain se diffuse à travers les marchés des changes, d'actions et de taux .
L'euro est actuellement le maillon faible. Le marché ne regarde que les risques structurels et exige une prime de risque qui touche tous les actifs, avec l'euro en première ligne.. Lorsqu'on met en parallèle les évolutions du spread obligations grecques-bund et de la parité euro-dollar, on peut imaginer aller à 1.20 sur l'euro-dollar dans les prochains mois.
le marché action américain est le mieux placé. Les marchés d'actions sont censés valoriser la santé des entreprises, pas celle des Etats. Or, la profitabilité des entreprises est bonne, tant aux Etats-Unis qu'en Europe. On attend ainsi 37% de hausse des bénéfices pour le S&P 500 et 39% pour le Stoxx 600. Pourtant, les comportements des marchés actions sont très différents aux Etats-Unis et en Europe, car le risque souverain contrebalance les bonnes nouvelles des sociétés européennes. Il y a donc une prime de risque défavorable au marché européen (page 53).
La profitabilité s'améliore grâce à la hausse conjuguée des chiffres d'affaires et des marges, avec une visibilité relativement bonne. Cela étant, on ne retrouvera pas les niveaux de profit d'avant la crise avant 2012.
Les valorisations des marchés sont à des niveaux proches des moyennes historiques, à 14 fois les bénéfices sur les Etats-Unis et 12 fois sur l'Europe. La prime de risque souverain expliquant la différence entre les deux zones
Globalement, les marchés actions font face à deux chocs : celui, conjoncturel, des stratégies de sortie de crise dans les pays émergents, celui, structurel, du risque souverain dans les pays développés. Au sein de ces derniers, les Etats-Unis ont clairement un avantage sur l'Europe. Compte tenu de la faiblesse structurelle de l'euro et de la diffusion d'une prime de risque souverain défavorable aux marchés européens, nous retirons 5% d'actions européennes dans nos portefeuilles équilibrés et nous les investissons en actions américaines, sans modifier notre allocation globale en actions.
Nous préferrons la dette émergente et corporate auxles "govies" des pays développés. Actuellement, les taux d'intérêt 10 ans américains et allemand restent stables, sous l'effet d'un mouvement de flight to quality. Mais globalement, la prime de risque des obligations gouvernementales des pays développés va être plus volatile. Nous restons sous-pondérés et maintenons notre sur pondération sur la dette émergente.
La diminution des spreads continue sur le marché des obligations corporate, le problème de l'endettement étant celui des Etats, pas des entreprises. La classe d'actifs conserve un caractère stratégique dans nos portefeuilles et résiste remarquablement bien dans le contexte actuel. Nous maintenons la surpondération sur la dette d'entreprise et la diversification en obligations US High Yield.
L'or protecteur et performant. En dépit de sa performance remarquable depuis le début de l'année (+16% contre euro), l'or reste un actif stratégique dans nos portefeuilles. Il est la meilleure protection contre le débasement des monnaies, contre le défaut éventuel d'un Etat et contre un retour de l'inflation ou de la déflation.
Source: Christophe Donay, Responsable de la recherche économique et de l'allocation d'actifs de Pictet & Cie.